Des fourmis dans les jantes - Episode III

La course à la mer

Le destin des voyageurs n’est pas de s’installer durablement, le havre fut-il des plus chaleureux et la compagnie rigolarde.

Un mopeur n’est pas un demi-pensionnaire. Déjà la Mash s’impatiente et commence à avoir des fourmis dans les jantes. 

Nous repartons.

Au soir de cette étape, j’ai prévu de nous arrêter en bord de méditerranée. Parce que j’ai très envie de me baigner -et que sinon nous foncerions directement dans la mer. 

La D2 qui nous guide vers Privas dessert les panoramas promis par le liséré vert de la carte Michelin. C’est un belvédère interminable qui dévoile son programme magistral au prix d’une visite venteuse. Je bénis une nouvelle fois la justesse du conseil de Guillaume, le patron de Engeance Hipster, qui prescrit un pull surnuméraire à toujours garder à portée de main. Car on ne sait jamais de quoi demain sera frais.

En contrebas, l’Ardèche tranquille promène des kayakistes en binôme, venus accomplir dans quelque UCPA leurs rêves d’évasion et donner une chance à leurs espoirs d’accouplement. 

La traversée de Privas puis d’Aubenas m’oriente vers la sortie de ce territoire, enfant chéri de la géologie. Pressentant qu’une histoire intense reste à écrire avec ce département, je traverse le Gard les yeux saturés de paysages et l’esprit bercé par l’hymne de George Harrison (Banglardèche/Banglardèche/now it may seem so far from where we all are/).

Comme moi, la montagne montre des signes de fatigue. Elle s’affaisse doucement sur son flanc jusqu’à se vautrer dans l’herbe ; on appelle cela la Camargue. Les lignes regagnent en droiture, permettant quelques accélérations ébouriffantes. Je peux ainsi reprendre mes considérations sur la musicalité de la machine. 

Je mets ici le doigt sur quelque chose qui touche à cette part d’ADN séparant définitivement la lignée des scooters de celle des motos sapiens. Il s’agit du langage.

Écoutons-les bien et jugeons : la bécane produit des rifs vibrants et pétaradants. Le scooter commet une note unique et artificielle. Conclusion : la moto est à la guitare électrique ce que le scooter est au synthétiseur.

Zone d’activité

Bouleversé par mes découvertes, j’aperçois Montpellier.

Il nous faut contourner l’agglomération, l’effleurer délicatement. Rester sur la voie rapide en accrochant la bonne sortie. Le moindre écart nous précipiterait dans les enfers de la zone d’entrée de ville.

Exactement ce qui arrive.

Il ne devrait pas y avoir d’entrée de ville. Nulle part. Jamais. 

Sous prétexte de "zone d’activité", nos agglomérations sont cernées d’un bourrelet d’architectures dévergondées. On voulait aller chez Saint Maclou, on se retrouve en plein Village Disney. Les restaurants de moules-frites quatre fromages tex-mex au feu de bois sont grimés en attractions pour racoler les familles. Et pendant ce temps, les McDo de nos centres-villes crèvent dans l’indifférence.

Quitter telle jungle est un trek pénible, surtout quand on a décidé de jouer au plus malin en coupant à travers Auchan. Mes cartes routières ne suffisent plus. Consultés, les indigènes sont en désaccord pour savoir si l’on doit tourner avant le Buffalo Grill ou dépasser d’abord le Léon de Bruxelles. Il ne me reste guère plus que la position du soleil et le vent. Chargé d’une espérance nouvelle, il porte jusqu’à nous le fumet rassurant de l’épiderme rôti à l’huile solaire. La mer est au sud, courrons au sud.

C’est ainsi que dans une course nerveuse j’enjambe les rocades, enfile des bretelles d’accès, rampe sous la Languedocienne et suis la Route de Palavas. L’après-midi tire sur sa fin et je souhaite par-dessus tout qu’elle tombe à l’eau, ma tête la première.

Tout à mon empressement, j’ai négligé un détail. La « Route de Palavas » ne mènera ni à Ramatuelle ni à Porquerolles. C’est donc en tout logique à Palavas-les-Flots que je fais mon entrée. Oui.

Palavas

Palavas est un parking géant sur lequel sont implantées des colonies d’appartements locatifs soigneusement empilés pour ne pas gêner les embouteillages. Contrairement aux villes normandes reconstruites dans l’après-guerre par des géomètres dépressifs, Palavas n’a même pas eu l’excuse du bombardement. Une expérience à suggérer au Conseil municipal, il n’est jamais trop tard pour écrire l’Histoire.

Nous cherchons à nous loger. Seul le troisième camping visité nous accepte moyennant le versement d’une caution, le port du bracelet fluo obligatoire et la mise sous séquestre de toutes mes pièces d’identité. J’objecte que le marquage au fer rouge me semble excessif, et nous voilà relégués en marge de l’immensité.

Ma tente a une emprise des plus modestes et la Mash est plus gracile que n’importe laquelle des campeuses émérites. Néanmoins, le prix de l’emplacement atteint le coût du péage depuis Paris. Au moins ne sommes-nous pas volés, notre parcelle a vue imprenable sur l’autoroute.

L’accueil reçu m’a passablement irrité. Avant même d’entrevoir le littoral, la Mash peut se targuer d’avoir déjà vu l’amer. Je décide de foncer tout de même à la plage en empruntant une chaussée étonnement fluide. Tandis qu’en sens inverse, c’est une artère congestionnée par les familiales qui rentrent en cortège serré pour ne pas rater la retransmission du coucher de soleil en direct sur Facebook.

Je vais enfin savourer mon premier moment de félicité depuis mon irruption dans les faubourgs de Montpellier. Je bondis sur le sable embrasé comme un kangourou fuyant le bush incendié. Premier clapotis, dernière illusion : cette eau est froide. Invraisemblablement froide. Avec la violence d’un pain de glace, elle envoie au tapis mes velléités. 

17°C. L’ardoise des maîtres-nageurs est formelle.

J’ai parcouru 1000 km pour rejoindre la Méditerranée, enduré l’urbanisme Majokit® et le contrôle douanier d’un camping de rétention pour une eau à 17 degrés. J’hésite entre avaler tout le sable de la plage ou brutaliser la jetée avec ma tête. 

J’avise plutôt le chippendale assermenté qu’on a affecté à la surveillance des monokinis. Levant les yeux des jumelles qu’il scrute à la lunette, il m’explique que le mistral souffle, que c’est un vent de terre, que ça fait bien trois jours, que donc 17 degrés, qu’il a du travail maintenant.

Ce littoral ne me reverra plus, jure-je, et je l’aurai renié 3 fois avant même que le soleil ait chanté.